L'hypersexualisation chez les adolescentes est une thématique très peu abordée alors que nous constatons que d'année en année ce phénomène prend énormément d'ampleur. 

Nous vous avons demandé de nous envoyer toutes vos questions afin de les poser à une sexologue. Cette professionnelle de la santé nous a aidé à comprendre ce qu'est l'hypersexualisation et de quelle manière elle s'exprime à travers le monde.

 

Nous avons rencontré Madame Bouta Marie-Claire (BMC) , professeur en sexologie.

 

TA'BOU: Bonjour Professeur, merci de prendre du temps afin de répondre aux lecteurs de TA'BOU.

La sexologie est une science récente et peu connue du grand public. Notre première question concerne votre métier. Pourriez-vous nous expliquer en quoi il consiste ?

 

BMC: C'est avec plaisir que je réponds à leurs interrogations puisque je pense que trop peu d'informations circulent à ce sujet.

Il est vrai que, de nos jours, la sexologie reste taboue. Si je devais définir en quelques mots cette discipline, je dirais que c'est l'étude de la sexualité humaine. Elle s'intéresse à chaque aspect de la sexualité, entre autre le développement sexuel, les liens affectifs ou encore les comportements sexuels. De ce fait l'hypersexualisation est un des éléments concerné par ma discipline.

 

TA'BOU: Pourriez-vous nous expliquer ce qu'est l'hypersexualisation ?

 

BMC: Tout d'abord, il me semble important de définir le terme sexualisation puisque l'utilisation du préfixe "hyper" signifie que cette dernière est démesurée.

La sexualisation évoque le processus durant lequel les caractéristiques sexuelles se développent chez l'Homme.

D'ordinaire ce phénomène connait deux grandes étapes: la première, durant la période foetale, lorsque les caractères sexuels primaires apparaissent ; c'est la mise en place de l'appareil reproducteur et l'apparition des organes génitaux.

La seconde, durant la puberté, la sexualisation s'achève grâce à l'apparition des caractères sexuels secondaires tels que la pilosité ou l'apparition des seins. A l'issue de ce processus physiologique l'individu est dit sexualisé, ce qui signifie qu'il est considéré comme sexué et donc apte à se reproduire. 

 

L'hypersexualisation est l'action de sexualiser quelque chose qui n'est pas destiné à l'être. C'est la raison pour laquelle on peut parler d'hypersexualisation des jeunes filles. Elles ne sont pas encore sexuées, le processus de sexualisation n'est pas abouti et pourtant elles sont déjà fardées comme des adultes. La société actuelle tend vers une "érotisation de l'enfance". Cela pousse les jeunes, plus particulièrement les filles, à grandir prématurément afin de se conformer aux critères de beauté actuels.

 

Par abus de langage on nomme sexualisation précoce le fait que les enfants, à travers les codes vestimentaires et les comportements sexuels s'affichent comme des personnes sexuées. Cela passe par la banalisation des attitudes sexuelles dès le plus jeune âge. Les médias, le maquillage à outrance, les publicités, la mode, l'image de la femme dans la société, les réseaux sociaux, les concours de mini miss ou encore la banalisation de la pornographie sont autant de facteurs qui influent sur le comportement des adolescents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jeune fille hypersexualisée                               Hailey Clauson (14 ans) publicité pour Urban Outfitter

 

Les sources des images se trouvent dans la galerie

 

 

TA'BOU: Mais quelles sont les manifestations concrètes d'un tel phénomène ?

 

BMC: Les manifestations sont nombreuses et variées ! Toutefois, il est possible de répertorier des caractéristiques de l'hypersexualisation selon les zones géographiques. Certaines sont devenues banales. En effet, beaucoup de marques sont représentées par des filles de plus en plus jeunes, elles ont une attitude qui ne correspond pas au comportement attendu de la part de fillettes.

D'autant plus qu'il est fréquent de voir des filles pré-pubères en couverture de magazines dans des poses suggestives. Bien entendu, l'hypersexualisation des jeunes filles se traduit non seulement par l'apparence physique (maquillage, port de talons ou encore tenues provoquantes) mais aussi par leur comportement, comme je l'abordais tout à l'heure. On parle de comportement sexuel, autrement dit, c'est une manière d'aborder la sexualité de façon plus affective et moins primaire où la reproduction n'est plus systématique. Certaines attitudes sont alors adoptées dans une volonté de séduction.  Ainsi après la révolution sexuelle de 1960 qui visait à débrider les moeurs, la société occidentale est passée "d'une sexualité-péché à une sexualité-plaisir", nous avons assisté à une dérive menant à l'hypersexualisation. 

Il est devenu courant de voir une jeune fille de 10 ans, très maquillée qui cherche à mettre en avant sa poitrine. Les grandes enseignes contribuent ouvertement à la sexualisation précoces des jeunes, "Primark" ou "Dim" sont notamment à l'origine de plusieurs lignes de soutien-gorge "ampliformes" pour des fillettes âgée de 8 ans, ils ont pour but de faire croire à la présence de seins sur les fillettes.  Il est aussi possible de trouver des strings taille 6 ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'hypersexualisation dans la publicité

 

 

TA'BOU: Vous dites que les caractéristiques de l'hypersexualisation sont spécifiques selon les régions du monde. Cela signifie-t-il que l'hypersexualisation dépend du contexte géopolitique ?

 

BMC:  On peut lire dans les médias que l'hypersexualisation diffère en fonction du contexte géopolitique, c'est-à-dire en fonction de la conjoncture géographique et politique d'un pays, mais ce terme n'est pas utilisé à bon escient. Effectivement, on observe que l'expression de la sexualisation ne diffère pas réellement selon le contexte géopolitique, mais plutôt en fonction des régions du monde, les différences sont principalement liées aux religions, aux traditions et à la culture du pays. L'approche de la sexualité est differente dans le monde. Interessons nous à quelques pays:

 

- En France et aux États-Unis nous reconnaissons de nombreuses similitudes puisque le modèle américain se répend dans la majorité des pays occidentaux. Les États-Unis sont plus touchés par l'hypersexualisation. On retrouve notamment des concours de beauté pour fillettes dès 3 ans, depuis 2014 ces concours de mini miss sont interdits en France pour les jeunes filles de moins de 13 ans car ils sont jugés dégradant et inapropriés.

Dorénavant les jeunes filles subissent l'influence des médias très jeunes et souhaitent plaire dès le début de l'adolescence, afin d'être intégrées dans une communauté, on parle de groupe de référence. Le phénomène des "Teen Series", c'est-à-dire des séries télévisées pour adolescents, a aussi une place importante. Il n'est pas rare de voir des adultes jouer le rôle d'adolescentes de 13/16 ans, elles donnent alors une image plus attirante de l'adolescence et incite les jeunes filles à prendre ces actrices comme modèle.

Selon Chantal Jouanno, sénatrice parisienne à l'origine du rapport "Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité", la France est encore loin des dérives des sociétés anglo-saxones.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Sur cette image, cette actrice joue le rôle d'une                                     une jeune participante à un concours de

       adolescente de 13 ans elle a en réalité 20 ans.                                                   mini-miss aux États-Unis

 

- Les pays de l'Est contribuent aussi à ce phénomène en sexualisant les jeunes filles très jeunes. On y recense le plus fort taux de prostitution enfantine d'Europe, avec plus de 2 000 victimes mineures. Les filles sont choisies très jeunes afin de correspondre aux critères des clients. Ainsi des fillettes d'une dizaine d'années vendent leur corps pour survivre, elles doivent ramener de l'argent à leur "propriétaire". Cela est du à une hypersexualisation des fillettes, ce qui les rends désirables très jeunes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mannequin russe de 8 ans

 

- Dans la culture des pays asiatiques, surtout au Japon, les jeunes filles ont toujours été un symbole de beauté et de pureté. Le fait que des hommes mûrs soient attirées par des petites filles ne choquait pas. Elles ont toujours été sexualisées jeune, en lisant des mangas vous verrez des enfants de 10 ans formées portant des mini-jupe, mais leur comportement reste innocent et naïf, c'est le cas du manga Negi-Ma. L'hypersexualisation semble être entrée dans les moeurs puisqu'elle n'est pas considérée comme telle. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un groupe de musique coréen, les membres ont entre 18 et 20, elles sont les modèles de jeunes adolescents

 

- La dernière catégorie de pays n'est pas une région du monde à proprement parlé mais ce sont les pays musulmans. L'islam est une religion qui prône une image discrète de la femme à l'opposée de celle donnée par les pays occidentaux. Ces pays sont les moins touchés par l'hypersexualisation. L'expression de la sexualité est un sujet encore très tabou.

 

TA'BOU: Quelles peuvent être les conséquences de l'hypersexualisation ? 

 

BMC: Ce phénomène engendre de multiples conséquences. Il est vrai, qu'elles sont plus ou moins excessives selon les adolescentes concernées, chaque cas est unique et la manière dont la situation est gérée l'est tout autant. Les troubles alimentaires, comme l'anorexie ou la boulimie, les troubles du comportement comme l'auto-mutilation sont des conséquences qui peuvent laisser de nombreuses séquelles, telle que la perte de la confiance en soi et qui peuvent aussi mener à la mort. Une autre conséquence de l'hypersexualisation est qu'elle tend à remettre en cause les acquis sur l'égalité des sexes. Elle conditionne une image réductrice de la femme et des jeunes filles à travers les médias et peut accentuer les inégalités dans les rapports hommes/femmes.

Nous pourrions aussi nous interroger sur les éventuelles conséquences que peut avoir ce phénomène sur les abus sexuels, la prostitution enfantine ou encore la pédophilie. Le nombre recensé de cas de pédophilie ne cesse d'augmenter tandis que parallélement le phénomène d'hypersexualisation et de plus en plus marqué dans la vie quotidienne. On peut alors supposer un lien de proportionnalité entre ces deux phénomènes. Il suffit d'observer les chiffres: en 10 ans, le nombre de condamnations pour viols sur mineurs de moins de 15 ans, en France est passé de 435 à 1358, ce qui représente une augmentation de 215 %. Cependant on peut aussi supposer que de nos jours les actes pédophiles sont plus dénoncés et donc plus punis qu'autrefois. Cela peut en partie expliquer la forte hausse du nombre de condamnations recensées. Même si le lien de causalité est difficile à démontrer et que ce dernier point mène à de nombreux désaccords nous devons rester vigilants.

 

TA'BOU: Quelles sont les solutions envisagées à travers le monde ?

 

BMC: Plusieurs pays ont déjà pris des mesures afin de limiter les conséquences liées à l'hypersexualisation. À l'heure actuelle, le Royaume-Uni est le pays le plus réactif: des réglementations sur la hauteur des talonts et sur les sous-vêtements des jeunes filles ont été mises en vigueur, les égéries des marques de vêtements doivent avoir plus de 16 ans et les couvertures de magazines pornographiques doivent être cachées dans les lieux publics.

Aux États-Unis et au Québec on porte une attention particulière aux tenues vestimentaires dans l'enceinte des établissements scolaire.

En Suède et en Norvège on favorise la sensibilisation, ainsi des intervenants dispensent des cours d'éducation sexuelle incluant des débats sur l'hypersexualisation dès l'âge de 8 ans.

 

TA'BOU: Merci beaucoup de nous avoir accordé cette interview.

 

BMC: C'était avec plaisir.